jeudi 18 octobre 2012

Comment elle est née

C'était un vendredi. Un vendredi tant attendu. On avait dit que ce serait bien plus tôt. On avait peur que ce soit trop tôt. Alors on s'est calmés, on a respiré, on a fait le vide autour de soi, on a arrêté de se préoccuper des travaux de la maison, des examens à corriger, du remplaçant à former, tout ça. On est allés apprendre comment accoucher avant que ce ne soit trop tard, au cas où. On nous disait, elle sera là en juin. Puis on se disait le 10 juillet. Puis on a pris des paris. Certains ont même dit le 22 juillet alors qu'elle était annoncée le 17 et j'ai ri en me disant que c'était bien trop tard, que jamais elle ne resterait dans mon ventre si longtemps. C'est qu'elle n'aime pas faire les choses quand on les attend. A mon rendez-vous chez l'obstétricienne du 25 juillet, je rigolais beaucoup moins. Une ouverture étroite. Ce n'est pas pour maintenant. Au plus tard le 3 août. Et pourquoi pas décembre tant qu'on y est. On m'avait dit qu'une grossesse, ça durait neuf mois, pas neuf ans! On peut déclencher mais ce n'est pas sûr qu'il y ait de la place. On nous rappellera quand ce sera le cas. Sûrement le 27 juillet. Le 27 juillet. C'est beau comme date. Le 26 au soir je prends un dernier bain dans ma nouvelle maison qui commence à se changer en nid pour l'accueillir. Et puis je vais me coucher. Mais sans dormir. Impossible. Demain, ma vie va changer pour toujours. Demain, elle sera là. Je la tiendrai dans mes bras, enfin. C'est vrai, c'est un accouchement sur rendez-vous, mais ça n'enlève rien au reste. Le stress et l'attente, ça fait 1 mois qu'on les vit. C'est bon. On n'en peux plus de se coucher tous les soirs en se demandant si on va devoir appeler un taxi en pleine nuit. On n'en peux plus d'entendre des "alooooooors?" à tous les coups de fils de la journée. Et surtout, on n'en peux plus de répondre "Non, pas encore. Non, même pas une petite contraction".

Le 27 juillet, je me suis levée à 5h du matin. J'ai vérifié que les sacs étaient prêts une dizaine de fois. J'ai pris une dernière photo de mon ventre. Et j'ai regardé le lever du soleil. Le dernier matin où je suis le seul centre de ma vie. Après, tout sera différent. C'est à la fois très concret et impossible à imaginer. Un peu comme si  on s'attendait à ce que la terre tremble et que tout devienne plus grand, plus fort, plus beau. Sans trop savoir ce que ça veut dire. Mon homme se lève et il me lance un regard qui veut dire que ça y est, c'est aujourd'hui; qui me demande si je suis prête. On ne prévient personne. C'est notre moment à nous, privilégié, intime. On arrive à la maternité à 9h tapantes. On croit qu'à midi, tout sera fini. On voit un homme tout seul attendre sa femme qui est en train d'accoucher et on a peur qu'on nous séparera. L'homme nous dit qu'il a simplement peur du sang. Puis on voit une femme en plein travail arriver avec les pompiers. Et là c'est surtout moi qui ai peur et qui voudrais tout à coup rentrer à la maison. Mais non, après 1h30, on vient nous chercher. C'est à mon tour. On nous emmène dans une jolie chambre, on a l'impression d'être à l'hôtel. C'est ici que je vais accoucher? C'est ici qu'elle va naître? C'est si intime. J'aime.

On me demande d'enfiler une chemise de nuit et de m'installer sur le lit pour la divine perfusion. J'ai une ouverture de 3 centimètres. Comme la veille. Comme trois semaines plus tôt. Mais bon. On nous dit que ça risque d'aller vite. On me place le monitoring. Les contractions arrivent tout doucement. On m'inspecte toutes les heures, toujours quelqu'un de différent. Au début, j'étais gênée. Au fil des heures, je m'en fous. A 15h, j'en suis à 5 centimètres à peine... On décide qu'on va me percer la poche des eaux. Avec une tige en plastique. Mais mon col est placé vers l'arrière alors c'est compliqué et voilà qu'ils sont trois à essayer. J'ai mal, je veux qu'on arrête, mais je ne dis rien. Les larmes de douleur coulent de mes yeux et il me dit que je suis incroyablement forte et courageuse. Il me fait rire. Ca me fait du bien. Je l'aime encore plus.

Et puis enfin, les eaux sont rompues et c'est un soulagement du corps et de l'esprit. Tout semble s'enchaîner maintenant, des contractions fortes bien ressenties dans le corps mais qui semblent justes. Et puis la péridurale qui vient calmer le jeu. A 18h, je suis à 6 centimètres et on se dit qu'on y sera encore demain. On se parle, on s'endort, les contractions sont régulières et fortes, mais je gère, en douceur, en silence. Après une de ces nombreuses fois où les sage-femmes ont tenté de poser un électrode sur la tête de mon bébé, on me dit que si j'ai l'impression que je dois faire caca, je dois les appeler. Ce sera le cas à 21h. Et là on me dit "ah ben oui, on est à 10 centimètres, on va appeler le gynécologue". Ah oui? Déjà? Ce n'était pas tant de l'humour qu'une certaine impression que le temps se soit arrêté dans cette pièce. Alex me serre fort les mains, ou c'est peut-être moi qui serre les siennes? - il est à côté de moi tout le temps, m'encourage, m'embrasse le front. Il est doux, tendre, épaté, épatant, tout ça. Moi j'ai mal mais je m'en fiche, je veux pousser, je veux la sortir de là et la rencontrer. On me dit que je suis une championne, j'y crois. En 15 minutes, ma fille naît et on la pose sur mon ventre. L'émotion est forte, surnaturelle. C'est bien elle. Avec les yeux de son papa comme je l'avais imaginée. Elle pleure et je lui dis que je sais. Je pleure avec elle. Je l'embrasse, elle, puis lui. Ils sont ma vie.

Après quelques complications de placenta non décollé qu'on est allé rechercher et d'hémorragie vite réglés grâce à une équipe médicale d'enfer - c'est là qu'on se dit que les femmes qui accouchent dans la forêt avec leur meilleure amie la lune pour le plaisir d'être en communion avec la nature sont folles - je me sens vidée de tout. J'ai ma fille dans les bras, mais je suis trop fatiguée pour m'en rendre vraiment compte. On nous annonce qu'on aura une chambre rien que pour nous. Qu'Alex va pouvoir rester avec moi. Et je me dis que j'en ai, de la chance. Alors je mange, d'abord, enfin, et puis je dors pendant qu'Alex et les sages-femmes s'occupent de ma fille quand elle en a besoin. Et puis le matin du 28 juillet, je suis tombée folle amoureuse d'elle. Avec son odeur si particulière de biscuit au pain d'épice, ou de lait concentré sucré, de muffin à l'amour. Je ressens un amour incommensurable pour elle. Et pour lui aussi. Pour la vie.

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